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maintenant ? Le garder ? … C’avait été la veille son instinctif, son passionné désir, quand il se précipitait vers le marchand. Ce simple objet, si souvent manié par la baronne Ely, la lui rendait si vivante ! … Le garder ? Les phrases entendues la veille dans le train lui revenaient, et avec elles toutes les appréhensions qui l’avaient saisi aussitôt… Le renvoyer ? Quel plus sûr moyen pour que la jeune femme cherchât qui s’était permis tant d’audace. Et si elle trouvait ? … En proie au tumulte de ces pensées, Pierre prenait et reprenait la boîte d’or. Il épelait l’absurde inscription tracée en pierres précieuses par l’ingéniosité du joaillier sur le métal de l’étui : « M.E.moi.100. C.C. » — « Aimez-moi sans cesser, » disaient ces lettres et ces chiffres ! L’amoureux songeait que ce bijou, pour afficher ainsi ce tendre souhait, avait dû venir à Mme de Carlsberg ou de l’archiduc ou d’une amie très chère. On a de ces naïvetés quand on aime comme il aimait, pour la première fois, et quand on ne traduit pas encore en images concrètes cette banale vérité que toutes les femmes ont un passé. Quelle agonie aurait été la sienne si ce bibelot féminin avait pu raconter sa propre histoire et les disputes auxquelles cette devise sentimentale avait déjà donné lieu durant la liaison de la baronne Ely avec Olivier Du Prat ! Que de fois ce dernier avait, lui aussi, cherché à savoir de qui sa maîtresse tenait cet objet, — un de ces bijoux dont la fastuosité inutile pue l’adultère ! — Et jamais il n’avait pu arracher à la jeune femme le