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sède comme faculté maîtresse l’imagination du sentiment, fait effort pour exalter en elle au plus haut point cette faculté. Comme toutes les créatures, elle tend à persévérer dans son être. Il en résulte qu’elle s’essaye à prolonger toutes ses sensations, ou heureuses ou douloureuses, et qu’elle finit par se complaire aussi bien dans ses tortures que dans ses joies. Chez le poète de la Fontaine aux lianes, cette impression du néant, après avoir été une souffrance, devient un besoin. Une sorte de culte de la mort s’établit en lui, et de cette invincible nuit dans laquelle il aime à se plonger malgré son horreur ; et, à son tour, il se fait le prophète, comme Baudelaire, du nihilisme final et suprême, et par quels admirables vers !

Si la félicité de ce vain monde est brève,
Si le jour de l’angoisse est un siècle sans fin,
Quand notre pied trébuche à l’abîme divin,
L’angoisse et le bonheur sont le rêve d’un rêve[1]...


Et ailleurs, dans Requies :

Rentre au tombeau muet où l’homme enfin s’abrite,
Et là, sans nul souci de la terre et du ciel,
Repose, ô malheureux, pour le temps éternel[2] !
  1. Poèmes barbares.
  2. Poèmes barbares.