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conviction que le philosophe. Mais une certitude une fois adoptée par l’esprit va plus avant et s’attaque au cœur. Il y a un rapport singulier et inévitable entre l’intelligence et la sensibilité ; ou plutôt, ces deux termes ne désignant rien qui soit différent en essence, penser est toujours sentir. Il suit de là que des états définis du cœur sont enveloppés dans des états correspondants de l’intelligence, et que toute doctrine philosophique suppose une suite d’émotions qui l’accompagne. On peut considérer, par exemple, que la foi spiritualiste dans le Dieu personnel, le mérite et l’immortalité, enveloppe en elle des trésors de joie lucide et de vaillance, tandis que la foi panthéiste dans la communion de l’âme et de la nature produit, elle aussi, une joie profonde, mais enivrée et comme extatique. Tout au contraire, la conception de l’irrévocable écoulement de toutes choses roule dans ses replis d’étranges germes de tristesse — une tristesse épouvantée devant la fuite inutile de ce monde illusoire. <poem>

L’Universelle Mort ressemble au flux marin,
Tranquille ou furieux, n’ayant hâte ni trêve,
Qui s’enfle, gronde, roule et va de grève en grève.
Et sur les hauts rochers passe, soir et matin[1].

<poem>

  1. Poèmes barbares.