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laideur en même temps qu’un esclavage ? — Pareillement, il lui a suffi de promener sa fantaisie dans le désert pour sentir la vérité du Dieu d’Israël, de se configurer les brumes du Nord pour adorer les divinités scandinaves, et de contempler les arceaux des cathédrales pour retrouver la mysticité triste du moyen âge. Est-ce que nous sommes étrangers d’ailleurs aux émotions qui ont suscité ces ardeurs religieuses ? N y a-t-il pas, dans la fièvre révolutionnaire de notre âge, de quoi nous associer aux fureurs de Qaïn contre lahveh[1] :

Dieu triste, Dieu jaloux qui dérobes ta face,
Dieu qui mentais disant que ton œuvre était bon,
Mon souffle, ô pétrisseur de l’antique limon,
Un jour redressera ta victime vivace.
Tu lui diras : adore ; elle répondra : non.

Est-ce que nous n’avons pas, immortel en nous, le sentiment de l’indicible mystère de la nature propre aux visionnaires du Nord ? Devons-nous remonter bien loin dans notre passé pour nous souvenir du temps où, agenouillés devant le crucifix, nous laissions, nous aussi, s’envoler

  1. Poèmes barbares.