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quelques points cette Lettre qui avait attérré les libéraux, tellement qu’ils osaient à peine lever la voix pour la combattre. Mais ils faisaient en-dessous et à la cachette un travail qui s’est fait sentir jusqu’à Rome et qui compromet étrangement l’Archevêque, en donnant une preuve complète qu’il ne se dirige pas toujours selon les règles de la vraie sagesse. Et en voici les preuves.

Les Évêques de la Province furent unanimes à déclarer à l’Archevêque que leur position, prise par leur Lettre susdite, était trop belle et trop avantageuse à la Religion, pour la quitter ; et qu’ainsi ils voulaient à tout prix s’y conformer.

L’Archevêque se trouvait donc réduit, ou à se séparer de ses suffragants pour plaire au parti libéral, ou à leur demeurer uni, en persistant comme eux dans la ligne de conduite uniforme qu’ils s’étaient tracée d’un commun accord par la Lettre.

Après quelques mois de silence, l’Archevêque publia son Mandement du 25 Mai, avec les modifications qu’avaient rejetées les évêques suffragants.

À peine ce Mandement eut-il été publié que tout le clergé de la province s’en émut, et les Évêques réunis pour quelques affaires importantes et une grande démonstration religieuse à Rimouski, témoignèrent leur profonde affliction à l’Archevêque et le conjurèrent de ne pas persister dans son dessein ; mais tout fut inutile.

Sur ces entrefaites arriva à Québec la lettre ci-dessus mentionnée de S. Em. le Cardinal Préfet, qui mit au grand jour la trame ourdie au profit du libéralisme, tant à Québec qu’à Rome, où réside quelqu’un qui en est le partisan zélé.

En même temps les journaux libéraux publièrent bien haut la victoire qui venait d’être remportée sur le parti catholique et exaltèrent avec enthousiasme la sagesse de l’Archevêque à qui ils attribuèrent ce changement. Il n’y eut qu’une voix chez les libéraux comme chez les protestants pour élever l’Archevêque jusqu’aux nues.

À leurs yeux tout ce que le Saint Père a dit pour stigmatiser le Libéralisme, tout ce qui a été décrété par les Conciles et enseigné par les Évêques et prêché par les prêtres, se réduira au Mandement de l’Archevêque, qui va être leur grand cheval de bataille, et dont cependant on ne prendra que ce qui pourra favoriser les libéraux, savoir : le silence imposé aux prêtres pour qu’ils ne parlent pas d’élection ou qu’ils n’en parlent que d’une manière inefficace, tandis que les libéraux, aux approches des élections, se feront entendre les dimanches et fêtes, aux portes des Églises et passeront, la semaine à parcourir les maisons pour vanter leurs partisans et faire élire des hommes opposés comme eux aux doctrines et libertés de l’Église.

Si l’on veut les confondre en leur citant l’autorité de la Lettre collective du 22 Septembre, ils ne manqueront pas de crier partout que cette lettre a été révoquée par l’Archevêque de la part du St. Siège ; qu’elle n’est en vigueur nulle part, pas même dans les diocèses où l’on tient à ce qu’elle demeure en pleine vigueur.

Si l’Archevêque lui-même cherchait à réclamer contre ces fausses interprétations, sa voix ne sera pas entendue ; et on lui répliquera qu’il n’y a pour personne obligation de s’attacher aux principes de cette Lettre collective, puisqu’il a été lui-même le premier à s’en écarter.

Les laïques qui verront régner une telle confusion entre les prêtres qui ne s’entendront plus, parce qu’ils n’auront plus de point de ralliement, s’abandonneront à la licence qui est le principe de ceux qui n’ont plus, pour les guider, la règle de la conscience.