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LE DISCIPLE

Pourat lui demanda lui-même avec épouvante :

— « Mon capitaine est malade ? «

— « Laisse-moi, » dit brusquement le comte, « je m’habillerai seul. »

Il avait besoin en effet de se remettre du coup subit qui venait de le frapper. Il se trouvait donc quelqu’un au monde qui connaissait le mystère de la mort de Charlotte et qui n’était pas Robert Greslou, — car il avait vu des pages de la main du jeune homme, et ce n’était pas son écriture. Ce fut une secousse de terreur comme les hommes les plus courageux peuvent en ressentir devant un fait si absolument inattendu qu’il prend un caractère surnaturel. Le frère de Charlotte aurait vu sa sœur, là devant lui, vivante, qu’il n’aurait pas été terrassé d’un étonnement plus effrayé. Quelqu’un savait le suicide de la jeune fille, et la lettre écrite par elle avant de mourir, et le reste peut-être… Et ce quelqu’un, ce témoin mystérieux de la vérité, que pensait-il de lui ? L’interrogation par laquelle se terminait le billet anonyme le disait assez. Subitement, le comte se souvint de ce qu’il avait osé cette nuit. Il se rappela cette lettre jetée au feu, et la pourpre de la honte lui vint aux joues… Cette résolution, prise la veille, et sur laquelle il avait dormi, il ne pouvait plus la tenir. Qu’un homme eût le droit de dire : « Le comte de Jussat a commis une lâcheté, » cela dépassait, pour ce gentil-