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LE DISCIPLE

sa méditation, il reprit la lettre de sa sœur, et il la relut, quoiqu’il en sût par cœur toutes les phrases. Il sortait de ces pages, tracées par cette main aujourd’hui à jamais immobile, un soupir si désespéré, un souffle d’agonie si triste et si navrant ! L’illusion de la jeune fille avait été si folle, ses luttes si sincères, son réveil si amer, que le comte sentit de nouveau les larmes couler le long de ses joues. C’était la seconde fois qu’il pleurait dans la journée, lui qui, depuis la mort de Charlotte, avait gardé ses yeux secs et comme brûlés par la haine. Il se dit : » Greslou a tout mérité… » Il resta immobile quelques minutes, et, marchant vers la cheminée, où le feu achevait de s’éteindre, il posa sur la bûche à demi consumée les feuillets de la lettre. Il fit craquer une allumette et la glissa sous le papier. Il vit la ligne de flamme se développer tout autour, puis gagner la frêle écriture, puis transformer cette unique preuve du misérable amour et du suicide de la jeune fille en un débris noirâtre. Le frère acheva de mélanger ce débris aux cendres à coups de pincettes. Il se coucha en disant tout haut : « C’est fait, » et il s’endormit, comme au soir de sa première bataille, du sommeil assommé qui succède, chez les hommes d’action, aux grandes dépenses de volonté, pour n’ouvrir les yeux, lui si matinal d’ordinaire, qu’à neuf heures le lendemain.

— « M. le marquis a défendu qu’on éveillât mon