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LE DISCIPLE

être, comme dans l’ensemble de l’univers ? Quel conseil lui donner davantage pour l’avenir ? Par quelles paroles empêcher que ce cerveau de vingt-deux ans fût ravagé d’orgueil et de sensualité, de curiosités malsaines et de dépravants paradoxes ? Démontrerait-on à une vipère, si elle comprenait un raisonnement, qu’elle ne doit pas sécréter son venin ? « Pourquoi suis-je une vipère ?… » répondrait-elle. Cherchant à préciser sa pensée par d’autres images empruntées à ses propres souvenirs, Adrien Sixte comparait le mécanisme mental, démonté devant lui par Robert Greslou, aux montres dont il regardait, tout petit, aller et venir les rouages sur l’établi paternel. Un ressort marche, un mouvement suit, puis un autre, un autre encore. Les aiguilles bougent. Qui enlèverait, qui toucherait seulement une pièce, arrêterait toute la montre. Changer quoi que ce fût dans une âme, ce serait arrêter la vie. Ah ! Si le mécanisme pouvait de lui-même modifier ses rouages et leur marche ? Si l’horloger reprenait la montre pour en refaire les pièces ? Il y a des créatures qui reviennent du mal au bien, qui tombent et se relèvent, qui déchoient et se reconstituent dans leur moralité. Oui, mais il y faut l’illusion du repentir, qui suppose l’illusion de la liberté et celle d’un juge, d’un père céleste. Pouvait-il, lui, Adrien Sixte, écrire au jeune homme : « Repentez-vous, » quand, sous sa plume de négateur sys-