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LE DISCIPLE

de jeter à certaines agonies morales le geste indifférent de Ponce-Pilate. Ce fut là une seconde crise, plus cruelle que la première. Quand il avait été saisi de cette affolante angoisse à l’aspect des ravages produits par son œuvre, le savant était surtout la victime d’une panique. Il pouvait se dire et il s’était dit que le sursaut de la terrible révélation agissait sur lui. À présent qu’il était de sang-froid, il mesurait, avec une précision affreuse, l’impuissance de sa psychologie, si savante fût-elle, à manier ce mécanisme étrange qui est une âme humaine. Que de fois, pendant cette fin de février et dans les premiers jours de mars, il commença pour Robert Greslou des lettres qu’il se sentit incapable d’achever ! Qu’avait-il à dire en effet à ce misérable enfant ? Qu’il faut accepter l’inévitable dans le monde intérieur comme dans le monde extérieur, accepter son âme comme on accepte son corps ? Oui, c’était là le résumé de toute sa philosophie. Mais cet inévitable, c’était ici la plus hideuse corruption dans le passé et dans le présent. Conseiller à cet homme de s’accepter lui-même, avec les affreuses scélératesses d’une nature pareille, c’était se faire le complice de cette scélératesse. Le blâmer ? Au nom de quel principe l’eût-il fait, après avoir professé que la vertu et le vice sont des additions, le bien et le mal, des étiquettes sociales sans valeur, enfin que tout est nécessaire dans chaque détail de notre