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LE DISCIPLE

dans l’Anatomie de la volonté, surtout sa critique de l’idée de cause. Il avait toujours tenu particulièrement à ce morceau. « Voilà qui est évident, » conclut-il ; et puis, après s’être ainsi enfoncé la certitude une fois de plus dans son intelligence, il se contraignait de penser à Greslou, à celui de maintenant, prisonnier dans la cellule n° 5, au fond de la maison d’arrêt de Riom, et un Greslou d’autrefois, au jeune étudiant de Clermont penché sur les pages de la Théorie des passions et de la Psychologie de Dieu. Il éprouva de nouveau une sensation insupportable que ses livres eussent été maniés, médités, aimés par cet enfant. « Que nous sommes doubles ! » songea-t-il, « et pourquoi cette impuissance à vaincre des illusions que nous savons mensongères !… » Tout d’un coup, une phrase du mémoire de Greslou lui revint à la tête : « J’ai des remords, quand les doctrines auxquelles je crois, les vérités que je sais, les convictions qui forment l’essence même de mon intelligence me font considérer le remords comme la plus niaise des illusions humaines… » L’identité entre son état moral actuel et l’état moral de son élève lui apparut comme si haïssable qu’il essaya de s’en débarrasser par un nouveau raisonnement. « Hé bien ! » se dit-il, « imitons les géomètres, admettons comme vrai ce que nous savons être faux… Procédons par l’absurde. Oui, l’homme est une cause, et une cause libre. Donc il est responsable…