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LE DISCIPLE

contradictions avec toutes ses doctrines : — il était comme son disciple, il avait des remords, il se sentait responsable !

Ce fut seulement après ces huit jours d’un premier saisissement, une fois le mémoire lu et relu, à pouvoir en réciter toutes les phrases, que ce conflit du cœur et de l’esprit devint lucide chez Adrien Sixte, et le philosophe tenta de réagir. Il se promenait au Jardin des Pantes, par un après-midi de cette fin de février, tiède comme un printemps. Il s’assit sur un banc, dans son allée favorite, celle qui longe la rue Buffon, et au pied d’un acacia de Virginie, étayé de béquilles de fer, garni de plâtras comme un mur, avec des branches nouées comme les doigts d’un géant goutteux. L’auteur de la Psychologie de Dieu aimait ce vieux tronc desséché de toute sève, à cause de la date inscrite sur la pancarte et qui constituait l’état civil du pauvre arbre… « Planté en 1632… » 1632, l’année de la naissance de Spinoza ! Le soleil de deux heures était ce jour-là très doux, et cette impression détendit les nerfs du promeneur. Il regarda autour de lui distraitement, et se plut à suivre le manège de deux enfants qui jouaient auprès de leur mère. Ils ramassaient du sable avec des pelles de bois pour en construire une maison imaginaire. À un moment, l’un d’eux se releva dans un geste de brusquerie et cogna de la tête contre le banc qui se trouvait derrière lui.