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LE DISCIPLE

de rester de simples caractères, écrits avec l’encre froide sur l’inerte papier, s’animaient ainsi en paroles derrière lesquelles il sentait palpiter un être. « Ah ! » songeait-il quand cette image était trop forte, « pourquoi la mère m’a-t-elle apporté ce cahier ? » Il eût été si naturel que la malheureuse femme, en proie à sa folle anxiété de prouver l’innocence de son fils, violât ce dépôt ! Mais non, Robert l’avait sans doute trompée avec cette hypocrisie dont le misérable se vantait, comme d’une conquête psychologique… Cela seul, cette hantise hallucinante du visage du jeune homme, suffisait à bouleverser Adrien Sixte. Quand cette mère lui avait crié : « Vous avez, corrompu mon fils… » — car elle le lui avait crié, — sa sérénité de savant avait à peine été touchée. Pareillement il n’avait opposé que le mépris aux accusations du vieux Jussat, répétées par le juge, et à la phrase de ce dernier sur la responsabilité morale. Comme il était sorti tranquille, intéressé même et presque allègre, du Palais de Justice ! Et maintenant cette force de mépris, il ne la retrouvait plus en lui ; cette sérénité, elle était vaincue, et lui, le négateur de toute liberté ; lui, le fataliste qui décomposait la vertu et le vice avec la brutalité d’un chimiste étudiant un gaz ; lui, le prophète hardi de l’universel mécanisme, et qui jusqu’alors avait toujours connu l’harmonie parfaite de son cœur et de son esprit, il souffrait d’une souffrance en