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LE DISCIPLE

Elle m’appartenait sans se défendre, avec une passivité d’hypnotisée, et il me semblait que cette heure en effet n’était pas vraie, tant elle dépassait les forces de mon espérance, presque celles de mon désir. Dans le jour adouci que jetaient la flamme de la lampe et celle du feu à demi éteint, la délicatesse de ses traits amaigris, sa pâleur consumée, ses cheveux maintenant épars, la faisaient ressembler à une apparition, même dans ce don physique de sa personne qu’elle me livrait comme une sacrifiée. C’est avec une voix de fantôme qu’elle me parlait, me racontant la longue histoire de ses sentiments. Elle disait comme elle s’était prise presque au premier regard et sans même s’en douter ; puis comme elle avait souffert de mes tristesses et de ma confidence ; puis comme elle avait rêvé d’être mon amie, une amie qui me consolerait doucement ; puis la lumière affreuse que ma déclaration dans la forêt avait soudain jetée sur son cœur, et qu’elle s’était juré de mettre un abîme entre nous. Elle me racontait ses luttes quand elle recevait mes lettres, et ses vaines résolutions de ne pas les lire, et ses fiançailles désespérées, afin que tout fût irrémédiable, et son retour, et le reste. Elle trouvait, pour me révéler le secret roman de sa tendresse, de ces phrases pudiques et passionnées qui tombent du bord mystérieux de l’âme comme les larmes tombent du bord des yeux. Elle disait : « Je le pourrais.