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LE DISCIPLE

mules sans même s’en rendre compte. Évidemment une angoisse insoutenable l’avait précipitée de son lit dans ma chambre. Elle ne se souciait ni de ce que je penserais d’elle, ni de ce que je pourrais être tenté de dire. Elle avait cru à ma lettre, et elle arrivait, en proie à une exaltation si vive qu’elle ne tremblait pas,

— « Ah ! » fit-elle d’une voix brisée après ce silence de la première minute, « Dieu soit loué, je ne suis pas arrivée trop tard… Mort ! je vous ai cru mort !… Ah ! c’est horrible !… Mais c’est fini, n’est-ce pas ? Dites que vous m’obéirez, dites que vous n’attenterez pas à vos jours. Jurez, jurez-le-moi… »

Elle prit ma main dans les siennes par un geste suppliant. Ses doigts étaient glacés. C’était quelque chose de si décisif que cette entrée, une telle preuve d’amour dans un instant où je me trouvais moi-même si exalté, que je ne réfléchis pas, et, sans lui répondre, je me souviens que je la pris dans mes bras en pleurant, que mes lèvres cherchèrent ses lèvres, que je lui donnai, à travers ces larmes, le plus brûlant, le plus tendre des baisers, le plus sincère ; que ce fut une seconde d’extase infinie, de félicité suprême, et aussi qu’elle s’arracha de moi, ayant, sur son visage toujours égaré, toute la honte de ce qu’elle venait de permettre.

— « Malheureuse, » disait-elle. « Il faut que je m’en aille !… Laissez-moi m’en aller !… Ne m’approchez plus… »