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LE DISCIPLE

me trouverait mort… À moins que je n’attendisse, pour me tuer, l’effet de cette dernière épreuve ?… — Là, je suis bien sûr d’y voir clair en moi. Je sais que cette espérance naquit exactement ainsi et précisément à ce point de mon projet, « Hé bien ! » me dis-je, « essayons. » J’arrêtai que si, à minuit, elle n’était pas venue chez moi, je boirais le poison. J’en avais étudié les effets. Je le savais quasi foudroyant, et j’espérais souffrir très peu de temps. Il est étrange que toute cette journée se soit passée pour moi dans une sérénité singulière. Je dois noter cela encore. J’étais comme allégé d’un poids, comme réellement détaché de moi-même, et mon anxiété ne commença que vers dix heures, quand, m’étant retiré le premier, j’eus placé la lettre sur la table dans la chambre de la jeune fille. À dix heures et demie, j’entendis par ma porte entr’ouverte le marquis, la marquise et elle qui montaient. Ils s’arrêtèrent pour causer une dernière minute dans les couloirs, puis ce furent les bonsoirs habituels, et l’entrée de chacun dans sa chambre… Onze heures… Onze heures un quart.. Rien encore. Je regardais ma montre posée devant moi, auprès de trois lettres préparées, pour M. de Jussat, pour ma mère et pour vous, mon cher maître. Mon cœur battait à me rompre la poitrine ; mais la volonté était ferme et froide. J’avais annoncé à Mlle de Jussat qu’elle ne me reverrait pas le lendemain. J’étais sûr de