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LE DISCIPLE

hypnotisé moi-même, et c’est comme un somnambule que j’ai arrêté de me tuer à tel jour, à telle heure, que je suis allé chez le pharmacien me procurer la fatale bouteille de noix vomique. Au cours de ces préparatifs et sous l’influence de cette résolution, je n’espérais rien, je ne calculais rien. Une force vraiment étrangère à ma propre conscience agissait en moi. Non. À aucun moment, je n’ai été, comme à celui-là, le spectateur, j’allais dire désintéressé, de mes gestes, de mes pensées et de mes actions, avec une extériorité presque absolue de la personne agissante par rapport à la personne pensante. — Mais j’ai rédigé une note sur ce point, vous la trouverez sur la feuille de garde, dans mon exemplaire du livre de Brierre de Boismont consacré au suicide. — j’éprouvais à ces préparatifs une sensation indéfinissable de rêve éveillé, d’automatisme lucide. J’attribue ces phénomènes étranges à un désordre nerveux voisin de la folie et causé par les ravages de l’idée fixe. Ce fut seulement le matin du jour choisi pour exécuter mon projet que je pensai à une dernière tentative auprès de Charlotte. Je m’étais mis à ma table pour lui écrire une lettre d’adieu. Je la vis lisant cette lettre, et cette question se posa soudain à moi : « Que fera-t-elle ? » Était-il possible qu’elle ne fût pas remuée par cette annonce de mon suicide possible ? N’allait-elle pas se précipiter pour l’empêcher ? Oui, elle courrait à ma chambre. Elle