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LE DISCIPLE

sensations tourbillonnantes, quelque chose de brûlant, de frénétique, d’intolérable, une terrassante névralgie de tout mon être intime, une lancination continue, et, — grandissant, grandissant toujours, le rêve d’en finir, un projet de suicide… Commencé où, quand, à propos de quelle souffrance particulière ? Je ne peux pas le dire… Vous le voyez bien, que j’ai aimé vraiment, dans ces instants-là, puisque toutes mes subtilités s’étaient fondues à la flamme de cette passion, comme du plomb dans un brasier ; puisque je ne trouve pas matière à une analyse dans ce qui fut une réelle aliénation, une aliénation de tout mon Moi ancien dans le martyre. Cette idée de la mort, sortie des profondeurs intimes de ma personne, cet obscur appétit du tombeau dont je me sentis possédé comme d’une soif et d’une faim physiques, vous y reconnaîtrez mon cher maître, une conséquence nécessaire de cette maladie de l’Amour, si admirablement étudiée par vous. Ce fut, retourné contre moi-même, cet instinct de destruction dont vous signalez le mystérieux éveil dans l’homme en même temps que l’instinct du sexe. Cela s’annonça d’abord par une lassitude infinie, lassitude de tant sentir sans rien exprimer jamais. Car, je vous le répète, l’angoisse des yeux de Charlotte, quand ces yeux rencontraient les miens, la défendait plus que n’auraient fait toutes les paroles. D’ailleurs, nous n’étions jamais seuls, sinon parfois quelques