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LE DISCIPLE

rédigeait, à l’usage du malade moral venu à lui, un diagnostic passionnel avec indication des causes. J’écrivis ce morceau pendant le mois d’août et sous l’influence accablante de la plus torride chaleur. J’y consacrai quinze séances environ, poussées de dix heures du soir à une heure du matin, toutes fenêtres ouvertes, avec le vol autour de ma lampe allumée des grands sphinx de nuit, de ces larges papillons de velours sombre qui portent sur leur corselet l’empreinte blanche d’une tête de mort. La lune se levait, inondant de ses clartés bleuâtres le lac où couraient des reflets nacrés, les bois dont le mystère s’approfondissait, et la ligne des volcans éteints, — ces volcans pareils à ceux que mon père montrait à mes yeux d’enfant à travers le télescope dans cette lune elle-même. Je posais ma plume pour m’abimer, devant ce paysage muet, dans une de ces rêveries cosmogoniques dont j’étais coutumier jadis. Comme aux temps où la parole de ce pauvre père me révélait l’histoire du monde, je revoyais la nébuleuse primitive, puis la terre détachée d’elle, et la lune détachée de la terre. Cette lune était morte aujourd’hui, et la terre mourrait aussi. Elle allait, se glaçant de seconde en seconde. La suite imperceptible de ces secondes, s’additionnant durant des milliers d’années, avait déjà éteint l’incendie des volcans d’où jaillissait autrefois, brûlante et dévastatrice, la lave sur laquelle posait le château. En se refroi-