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LE DISCIPLE

y auriez trouvé, comme dans un atlas d’anatomie morale, une illustration de vos belles analyses sur l’amour, le désir, le regret, la jalousie, la haine. Oui, durant ces quatre mois, j’ai traversé toutes ces phases. Ce fut d’abord une tentative insensée mais trop naturelle, persuadé comme j’étais que l’absence de Charlotte prouvait seulement sa passion. Je lui écrivis. Dans cette lettre, savamment composée, je commençais par lui demander pardon pour mon audace du bois de la Pradat, et je renouvelais cette audace d’une manière pire, en lui traçant une peinture brûlante de mon désespoir loin d’elle. C’était, cette lettre, une déclaration plus folle encore que l’autre, et si hardie qu’une fois l’enveloppe disparue dans la petite boite au bureau de poste du village où j’étais allé la porter moi-même, j’eus de nouveau peur. Deux jours, trois jours se passèrent ; pas de réponse. La lettre du moins ne me revenait pas, comme je l’avais tant craint, sans même avoir été ouverte. À ce moment même, la marquise achevait ses préparatifs pour partir à son tour et rejoindre sa fille. Sa sœur occupait à Paris, rue de Chanaleilles, un hôtel assez vaste pour qu’elle y pût céder à ces dames un appartement suffisant. Hôtel de Sermoises, rue de Chanaleilles, Paris… que j’ai eu d’émotions alors à écrire cette adresse, non pas une fois, mais cinq ou six ! Je calculai, en effet, que la tante de la