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LE DISCIPLE

Des photographies de toute grandeur la représentaient à six ans, à dix ans, à quinze, et j’y pouvais suivre l’histoire de sa beauté, depuis la grâce mignonne des premières années jusqu’au charme frêle d’aujourd’hui. Les traits changeaient de l’une à l’autre de ces photographies, jamais le regard. Il restait le même dans les yeux de l’enfant et dans ceux de la jeune fille, avec ce je ne sais quoi de sérieux, de tendre et de fixe qui révèle la sensibilité trop profonde. Il s’était posé ainsi sur moi, et de m’en souvenir me remuait d’une émotion confuse. Ah ! Pourquoi ne m’y livrais-je pas entièrement ? Pourquoi ma vanité s’acharnait-elle à ne pas s’y complaire ? Mais pourquoi, sur tant de ces portraits, Charlotte se trouvait-elle à côté de son frère André ? Quelle fibre secrète de haine cet homme avait-il, par sa seule existence, touchée dans mon cœur, que de voir simplement son image auprès de celle de sa sœur desséchait soudain ma tendresse et ne laissait plus subsister en moi que la volonté ? Quelle volonté ?… J’osais me la formuler, maintenant que je me croyais sûr d’avoir pris ce cœur à mon piège. Oui, je voulais être l’amant de Charlotte… Et après ? Après ? je me forçais à n’y pas réfléchir, de même que je me forçais à détruire les instinctifs scrupules d’hospitalité violée qui me remuaient. Je ramassais les plus mâles énergies de ma pensée et je m’enfonçais dans l’âme davan-