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LE DISCIPLE

connue des montagnes, la face de la maison, cet orgueil céda la place à une appréhension affreuse de ce que j’allais avoir à subir, et le projet traversa ma tête de m’enfuir, de retourner tout droit à Clermont plutôt que d’essuyer de nouveau le dédain de Mlle de Jussat, l’affront qu’allait m’infliger le père… C’était trop tard ; le marquis lui-même s’avançait vers moi, dans l’allée principale, accompagné de Lucien, qui m’appela. Ce cri de l’enfant avait l’habituelle intonation de familiarité, et l’accueil du père acheva de me prouver que j’avais eu tort de me croire perdu si vite.

— « Ils vous ont abandonné, » me dit-il, « et ils n’ont même pas eu l’idée de vous renvoyer la voiture… Vous avez dû marcher d’un pas !… » Il consulta sa montre. « J’ai peur que Charlotte n’ait pris froid, » ajouta-t-il ; « elle a dû se coucher aussitôt arrivée… Ces soleils du printemps sont si traîtres ! »

Ainsi, Mlle de Jussat n’avait rien dit encore !…

— « Elle souffre ce soir. Ce sera pour demain, » pensai-je, et je commençai, aussitôt seul, à préparer l’emballage de mes papiers. Je tenais à eux, en ce temps-là, avec une si naïve confiance dans mon talent de philosophe ! Le lendemain arriva. Rien encore. Je me retrouvai avec Charlotte à la table du déjeuner ; elle était pâle, comme quelqu’un qui a traversé une crise de violente douleur. Je vis que le son de ma voix lui infligeait