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LE DISCIPLE

dépassaient le bord de sa jupe, et ses cheveux châtains, massés sous un chapeau de feutre noir, luisaient dans la lumière avec des reflets fauves. Pour mieux manier les tiges de ses fleurs, elle avait ôté ses gants, et je voyais ses belles mains blanches dont les doigts fragiles allaient et venaient. Elle s’harmonisait d’une façon presque surnaturelle avec le paysage où nous nous trouvions, par le charme de jeunesse qui émanait d’elle. Plus je la regardais, plus cette idée s’imposait à moi qu’il fallait saisir cette occasion de lui dire ce que je voulais lui dire depuis trop longtemps. Certainement je n’en retrouverais jamais une autre aussi propice. De quelles profondeurs de mon âme cette idée était-elle sortie, et à quelle seconde ? Je ne sais pas, mais je sais qu’à peine entrée en moi, elle grandit, grandit… Un remords obscur s’y mêlait, celui de la voir, elle, si confiante, si peu soupçonneuse du patient travail par lequel, abusant de notre intimité quotidienne, je l’avais amenée à me traiter avec une douceur presque fraternelle. Mon cœur battait. La magie de sa présence remuait tout mon sang. Pour son malheur, elle se tourna vers moi à un moment, afin de me montrer son bouquet presque achevé. Sans doute elle aperçut sur mon visage la trace de l’émotion que l’orage de mes pensées soulevait en moi, car, elle-même, sa physionomie si joyeuse, si ouverte, se voila soudain d’une