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LE DISCIPLE

force d’avancer, nous nous trouvâmes, à un moment, dans une clairière, et si éloignés que nous ne voyions même plus, à travers le taillis pourtant dépouillé, le groupe formé par la petite voiture et les trois personnes. Charlotte s’aperçut la première de notre solitude. Elle tendit l’oreille, et, n’entendant pas le bruit que faisaient les sabots du cheval sur le sol de la route, elle s’écria avec un rire d’enfant :

— « Nous sommes perdus… Heureusement que le chemin n’est pas difficile à rembourser, comme dit la pauvre sœur Anaclet… Voulez-vous attendre que j’aie rangé mon bouquet ? Ce serait si dommage de gâter ces belles fleurs… »

Elle s’assit sur un rocher baigné de soleil, et elle étala sur sa jupe sa fraîche cueillette, prenant un par un les brins de muguet. Je respirais le parfum musqué de ces pâles grappes, assis moi-même sur l’autre extrémité de la pierre. Jamais cette créature vers qui tendaient depuis des mois toutes mes pensées ne m’avait paru aussi délicate, aussi adorablement délicate et fine qu’à cette minute, avec son visage coloré de rose par le grand air, avec la pourpre vive de ses lèvres qui se plissaient dans un demi-sourire, avec la claire limpidité de ses yeux gris, avec l’élégance de son être entier. Elle portait, sur une robe de drap sombre, une sorte de veston qui dessinait à demi sa taille. Ses pieds, chaussés de bottines lacées,