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LE DISCIPLE

degré que cet amant traître à la fois et sincère, déloyal et tendre, ingénu et roué, qui exécute, lui aussi, à sa manière, son expérience de vivisection sentimentale sur sa jolie et fière cousine. Je vous cite cet exemple, entre vingt autres, pour vous donner une idée des conversations que nous avions sans cesse à présent dans ce château où nous nous trouvions si étrangement isolés. Personne, en effet, ne nous surveillait. La dissimulation dont je m’étais masqué dès mon arrivée continuait de me couvrir. Le marquis et la marquise s’étaient façonné de moi dès la première semaine une image absolument différente de ma vraie nature. Ils ne se donnaient plus la peine de vérifier si cette première impression était exacte ou fausse. La bonne Mlle Largeyx, installée dans la douceur de son parasitisme complaisant, était bien trop innocente pour soupçonner les pensées de dépravation intellectuelle que je roulais dans ma tête. L’abbé Barthomeuf et la sœur Anaclet, que séparait une rivalité secrète, cachée sous les formes d’une amabilité tout ecclésiastique, n’avaient qu’un souci, celui de bien disposer les maîtres du château, le prêtre pour son église, la religieuse pour son ordre. Lucien était trop jeune, et quant aux domestiques, je n’avais pas encore appris ce qui se voilait de perfidie sous l’impassibilité de leur visage rasé et l’irréprochable tenue de leur livrée brune, à boutons de métal. Nous étions donc, Charlotte et moi,