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LE DISCIPLE

pagnes de travail. Quelquefois le curé d’Aydat, un vieux prêtre qui disait la messe dans la chapelle du château par les dimanches trop rudes, l’abbê Barthomeuf, venait relever Charlotte de sa corvée et tenir la partie du marquis. Quoique ce dernier pratiquât avec moi une politesse irréprochable, il ne m’avait jamais demandé si j’aurais ou non de la répugnance à apprendre le jeu. La différence qu’il établissait entre l’abbé Barthomeuf et moi m’humiliait, par la plus bizarre contradiction, car je préférais de beaucoup me tenir sur ma petite chaise à lire un livre ou bien à imaginer les caractères des diverses personnes d’après leurs physionomies. Mais n’en est-il pas de la sorte pour quiconque se trouve dans une position qu’il juge inférieure ? Toute inégalité de traitement blesse l’amour-propre. Je m’en vengeais en observant les ridicules de l’abbé, qui professait, pour le château en général et le marquis en particulier, une admiration idolâtre. Son visage déjà trop rouge tournait à l’apoplexie quand il prenait place vis-à-vis du vieux gentilhomme, et en même temps la perspective de gagner les pièces blanches destinées à intéresser la partie faisait trembler le cornet dans sa main lors des coups décisifs. Cette observation ne m’occupait pas longtemps, et j’en revenais vite à suivre du regard la jeune fille qui, rendue à la liberté, s’asseyait pour travailler près de sa mère. L’insuccès de ma tentative pour me