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LE DISCIPLE

de même qu’elle peut souvent lui survivre. Très frappé par la justesse de cette double remarque, je m’étais dit que le roman à raconter devant Mlle de Jussat devait exciter tout ensemble son imagination et irriter sa vanité. J’avais réussi à toucher en elle la corde de la pitié, je voulais toucher d’un seul coup celle de l’émulation sentimentale et celle de l’amour-propre. J’avais donc calculé mon histoire d’après cette idée que toute femme intéressée par un homme est froissée dans sa vanité si cet homme lui montre qu’il continue d’appartenir tout entier à la pensée d’une autre femme. Mais c’est vingt pages que j’aurais à vous transcrire pour vous montrer comment j’avais tourné et retourné ce problème de la fable à inventer. L’occasion de la dire, cette fable tentatrice, me fut fournie par ma victime elle-même quinze jours environ après que j’avais commencé la mise en œuvre de ce que je continuais de dénommer fièrement mon expérience. Le marquis s’était avisé que dans la collection de l’Encyclopédie il se trouvait un volume consacré aux cartes. Il voulait y rechercher quelques jeux anciens tels que l’Impériale, l’Hombre, la Manille, pour les essayer. Cette belle idée lui était venue après le déjeuner, à rencontrer dans un journal une chronique sur un jeu nouveau, le Poker, à propos duquel le journaliste dressait une liste de divertissements démodés. Quand ce maniaque conçoit