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LE DISCIPLE

par la pitié aussi que je me proposais d’agir d’abord sur Charlotte. Je voulais profiter du premier mensonge par lequel je l’avais déjà remuée, l’enlacer par une suite d’autres, et achever de me faire aimer en me faisant plaindre. Il y avait, dans cette exploitation du plus respecté des sentiments humains au profit de ma fantaisie curieuse, quelque chose de radicalement contraire aux préjugés généraux, qui flattait mon orgueil jusqu’au délice. Tandis que je rédigeais ce plan de séduction, avec textes philosophiques à l’appui, je me représentais ce qu’en eut pensé le comte André, s’il eût pu, comme dans les anciennes légendes, du fond de sa ville de garnison, déchiffrer les mots tracés par ma plume. En même temps, la seule idée de diriger à mon gré les rouages subtils d’un cerveau de femme, toute celle horlogerie intellectuelle et sentimentale si compliquée et si ténue, me faisait me comparer à Claude Bernard, à Pasteur, à leurs élèves. Ces savants vivisectent des animaux. N’allais-je pas, moi, vivisecter longuement une âme ?

Pour tirer de cet effet de pitié, surpris plutôt que provoqué, le résultat demandé, il s’agissait d’abord de le prolonger. À cette fin, je résolus de continuer par calcul la comédie de tristesse improvisée par hasard, tout en préparant, pour le jour plus ou moins éloigné d’un entretien explicatif, un petit roman attendrissant de fausses