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LE DISCIPLE

que le tout se fondit en une nostalgie des expériences sentimentales et que, juste à ce moment, une jeune fille se rencontrât dans mon intimité, dont la seule présence aurait suffi pour provoquer le désir de lui plaire chez tout jeune homme de mon âge. Mais j’étais trop intellectuel pour que ce désir naquît dans mon cœur sans avoir traversé ma tête. Du moins, si j’ai subi le charme de grâce et de délicatesse qui émanait de cette enfant de vingt ans, je l’ai subi en croyant que je raisonnais. Il y a des heures où je me demande s’il en a été ainsi, où toute mon histoire m’apparait comme plus simple, où je me dis : « J’ai tout bonnement été amoureux de Charlotte, parce qu’elle était jolie, fine, tendre, et que j’étais jeune ; puis je me suis donné des prétextes de cerveau parce que j’étais un orgueilleux d’idées qui ne voulait pas avoir aimé comme un autre. » Quel soulagement quand je parviens à me parler de la sorte ! Je peux me plaindre moi-même, au lieu de me faire horreur, comme cela m’arrive lorsque je me rappelle ce que j’ai pensé alors, cette froide résolution caressée dans mon esprit, consignée dans mes cahiers, vérifiée, hélas ! dans les événements, la résolution de séduire cette enfant sans l’aimer, par pure curiosité de psychologue, pour le plaisir d’agir, de manier une âme vivante, moi aussi, d’y contempler à même et directement ce mécanisme des passions jusque-là étudié dans les livres, pour