Page:Bourget - Le Disciple.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
177
LE DISCIPLE

duire presque fidèlement, n’avait rien qui dût m’étonner. Il était trop naturel que dans une maison où le père était un vieux maniaque, la mère une simple ménagère, la sœur timide et très jeune, le frère ainé tînt une place dirigeante, et qu’il prît langue avec un précepteur arrivé du jour. Il était trop naturel aussi qu’un soldat et un gentilhomme élevé dans les idées de sa classe et de son métier me parlât en soldat et en gentilhomme. Vous, mon cher maître, avec votre universelle compréhension des natures, avec votre facilité à dégager le lien nécessaire qui unit le tempérament et le milieu aux idées, vous eussiez vu dans le comte André un cas très défini et très significatif. Et moi-même, pourquoi avais-je préparé mon cahier à fermoir, sinon pour recueillir des documents, et de cette espèce, sur la nature humaine ? N’en avais-je pas là de tout nouveaux dans la personne de cet officier si un et si simple, qui manifestait une manière de penser évidemment identique à sa manière d’être, de respirer, de bouger, de fumer, de manger ? Je me rends trop compte que ma philosophie n’était pas comme du sang dans mes veines, comme de la moelle dans mes os, car ce discours et les convictions qu’il exprimait, au lieu de me plaire par cette rare rencontre de logique, avivèrent encore la plaie d’antipathie, subitement ouverte je ne sais où, — dans mon amour-propre peut-être, car enfin j’étais le chétif