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LE DISCIPLE

poursuivait. Je dépêchais mes devoirs avec une sorte de verve endiablée, trouvant du talent dans le désarroi de mes nerfs trop vibrants. Je dînais, la bouche desséchée par l’ardeur de sensualité qui, à présent, me brûlait. Je descendais sous le prétexte de revoir Émile, et je me précipitais vers la rue de Marianne, Je retrouvais auprès d’elle la sensation brutale, cuisante et âpre, suivie d’une nausée si étrange, et, revenu, il m’arrivait de passer des heures à ma fenêtre, regardant les étoiles de la vaste nuit d’été, me souvenant de mon père mort et de ce qu’il me disait jadis sur ces mondes lointains. Alors une extraordinaire impression du mystère de la nature me saisissait, du mystère de toute âme, de mon âme à moi, vivante, dans cette nature, et je ne sais ce que j’admirais le plus, des profondeurs de ce ciel taciturne, ou des abîmes qu’une journée, ainsi employée, me révélait dans mon cœur.

Telles étaient mes dispositions intérieures, mon cher maître, lorsque j’entrai dans celle de mes classes qui devait être décisive pour mon développement : la philosophie. Dès les premières semaines du cours, mon ravissement commença. Quel cours cependant et combien empâté de fatras de la psychologie classique ! N’importe, inexacte et incomplète, officielle et conventionnelle, cette psychologie me passionna. La méthode employée, la réflexion personnelle et l’ana-