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LE DISCIPLE

épouvante, il nous la communiquait. J’en arrive à me réjouir qu’il soit mort, car je le verrais entrer dans ma prison, et qui sait ? peut-être subirais-je une récurrence des émotions de terreur que sa présence m’infligeait dans cette salle aux murs blanchis à la chaux, meublée de bancs de bois et d’une petite chaire en bois peint. Le thème habituel de ses discours était le petit nombre des élus et la vengeance divine. « Qui empêcherait Dieu, » disait ce prêtre, « puisqu’il est tout-puissant, de contraindre l’âme de celui qui meurt à rester près du corps dont elle se sépare ?… L’âme serait là, dans la chambre mortuaire, entendant les sanglots, voyant les larmes des proches, et il lui serait défendu de les consoler… Elle serait emprisonnée dans le cercueil, et là, obligée pendant des jours et des jours, des nuits et des nuits, d’assister à la corruption de cette chair qui fut la sienne, parmi les vers et la pourriture… » Des images pareilles et de cette férocité d’invention abondaient sur sa bouche amère ; elles me poursuivaient dans mon sommeil. La peur de l’enfer s’exaltait en moi jusqu’à la folie. D’autre part l’abbé Martel déployait la même éloquence à nous célébrer l’importance décisive qu’aurait pour notre salut cette approche de la sainte table, et, par suite, ma crainte des supplices éternels aboutissait à des examens de conscience d’un scrupule infini. Bientôt ces