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même sous la peau rude des gros gants couleur sang de bœuf destinés à s’user au cuir des rênes, et, comme ayant reconquis un peu de calme :

— « Vous avez raison, mon pauvre Jack, » dit-elle. C’était bien peu de chose, ce mot de pauvre. Le farouche Corbin, s’il l’avait osé, se serait agenouillé de reconnaissance pour remercier sa cousine de l’avoir prononcé, et avec cette douceur, comme tout à l’heure : mon ami. « C’est moi qui ne dois pas vous demander une pareille démarche… À quoi servirait-elle, d’ailleurs ? En se conduisant, aujourd’hui, comme il s’est conduit, M. de Maligny a prouvé qu’il n’est pas un gentleman. Il ne comprendrait même pas le sens de ce message. Il croirait que je veux lui faire savoir que je l’aime encore… Et je ne dois pas non plus l’aimer encore. » Elle répéta : « Je ne dois pas. » Elle n’osait point, maintenant, dire, comme la veille : « Je ne l’aime plus… » Elle continua : « Ma première idée, celle de ce matin, était la sage : ne pas me trouver là quand il est venu. Il m’a semblé que ce n’était pas fier, que j’aurais l’air d’avoir peur… Je me suis tenue, heureusement. Je n’ai rien fait qui trahit mon trouble. J’y aurai gagné le droit d’être prudente, une autre fois, de la plus sûre manière, en l’évitant. Lorsqu’il reviendra, je prendrai un cheval quelconque — j’ai toujours ce prétexte à ma disposition — et je m’en irai… Quant à Mme Tournade, si elle donne suite à son projet, c’est vous qui l’accompagnerez à la chasse. Si elle demande, auparavant, à essayer le cheval au manège, vous le lui mènerez en lui disant, pour la préparer à ne pas me voir ensuite, que je ne suis pas très bien… J’aurai du courage, Jack. J’en trouverai dans le mépris. » Et elle emprunta, à leur commun métier, une comparaison dont la trivialité même la soulageait : cela arrive quand on se venge des sentiments