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lui avait donné, du coup, une force singulière. La brutalité de cet examen la révoltait, en suscitant chez elle ce dédain qui, pour certaines âmes très tendres, mais très fières, possède les vertus d’un anesthésique. Elle n’avait plus douté : cette femme était venue chez elle sur une indiscrétion de Jules. Cette certitude, en augmentant encore son dégoût, avait achevé de la glacer. Jamais le pauvre Jack Corbin, qui assistait de loin à cette scène, ne l’avait vue plus belle qu’à cette minute. L’instinct de défense qui l’animait la faisait se redresser, mince et souple, dans le fourreau de son amazone. Ses vingt ans gardaient, même dans sa pâleur et son amaigrissement actuels, tous leur frais éclat. Le masque empâté et déjà marqué de Mme Tournade prenait, par contraste, en dépit des séances aux Instituts de beauté, des tons de chair maquillée et fanée. La taille de celle-ci, sanglée dans un de ces corsets de beauté mûre qui déplacent si fantastiquement les épaisseurs du corps, était raide et lourde. La surcharge de sa toilette, trop élégante, trop à la mode, non pas d’aujourd’hui, mais de demain semblait caricaturale à côté de la mise très simple, mais si seyante, de Hilda. Mme Tournade portait une robe en velours bleu de roi, historiée de passementeries et de pampilles. Le corsage, en forme de boléro, ouvrait sur une chemisette en guipure de Venise. Un grand chapeau de feutre noir, garni de rubans assortis à la robe et de boucles de stras, surchargeait l’édifice compliqué de ses cheveux, dont les reflets fauves trahissaient une savante teinture, comme la pourpre de ses lèvres et la ligne dessinée de ses sourcils, de savants crayons. Toutes sortes de chaînes, de bracelets, de breloques et de petits bijoux fanfreluchaient encore cette parure. Un rang de très grosses perles passé à son cou et deux perles plus grosses à ses oreilles finissaient de lui