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protestation passionnée. Un infaillible sens s’éveille chez les femmes les plus naïves quand il s’agit de manœuvrer un amoureux. Celle-ci venait de prononcer exactement les mots qui devaient mater les rébellions du malheureux. Il baissa la tête. Après quelques secondes de combat intérieur, il reprit simplement : « Soit ! je me tairai. Mais qu’allez-vous faire ? Vous voulez que Campbell écrive à cet homme ? Je vous jure que tout ce que je vous ai dit de lui est vrai… Et vous le reverrez ?… Et puis, pensez quel rôle vous faites jouer à votre père… »

— « Je reverrai cet homme, si cela me plaît, » répondit-elle. « Je ferai ce qui me convient. Ce que je vous demande, à vous, c’est le silence. Gardez-le, et j’oublierai. Sinon, tout rapport est rompu entre nous et pour toujours. Je m’en irai plutôt de la maison. Vous me parlez de mon père ? Hé bien ! si vous vous mettez en travers de mes projets, je lui donnerai à choisir entre vous et moi… »

— « Je vous obéirai, Hilda, » dit John Corbin, après quelques instants d’une nouvelle lutte intérieure qui dut être bien forte, car sa cicatrice passa du violet sombre au violet livide, comme il arrivait quand une émotion très intense secouait ses rudes nerfs. Car le brave et sauvage garçon avait des nerfs, malgré son flegme, et qu’il venait d’avoir bien du mal à dompter. Ce ne fut pas son amour seulement qui lui donna la force de cette domination sur lui-même, ni son besoin d’apaiser à tout prix le ressentiment de la passionnée jeune fille. Ce fut l’évidence devant son regard, ses paroles, son attitude, qu’une révolution était en train de s’accomplir en elle. Cette question sur ses projets, qu’il lui avait posée d’un ton si angoissé, il n’allait plus cesser de se la répéter à lui-même avec une angoisse pire : « Que va-t-elle faire ?… » L’idée que son Hilda, la fière et loyale