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Disons, aussitôt, que la scène rapportée dans ce billet d’adieu ne s’était pas absolument déroulée de la sorte. Le génie de la fable, inné chez Jules, faisait de lui un être mi-parti, — comme les costumes des pages dans les fresques de la Renaissance. — Il ne mentait jamais tout à fait, de même qu’il ne disait jamais tout à fait la vérité. Voici, exactement, ce qui s’était passé : Rentré chez lui, il avait bien trouvé sa mère inquiète de ce que Firmin était venu lui raconter, au sujet d’un milord qui cherchait M. le comte partout, pour le tuer, à cause de sa femme. — Le concierge, comme on voit, n’était pas un fabuliste moins distingué que son jeune maître, quoiqu’il travaillât sur d’autres thèmes, et avec de plus vertueuses intentions. — La douairière avait interrogé son fils. Celui-ci avait saisi cette occasion de raconter son roman avec Hilda. Une explication avait suivi au cours de laquelle Mme de Maligny s’était abandonnée à penser tout haut, pour la première fois, devant Jules. Toutes les amertumes de son existence conjugale lui étaient remontées aux lèvres. Elle, si douce, si résignée, elle avait crié à son enfant ses douleurs de femme, puis ses agonies de mère. Elle lui avait montré son âme à nu et quelle plaie y avaient ouverte ses étourderies de jeune homme. Des révélations d’un ordre plus brutal s’étaient jointes à celles-là. D’habitude, la comtesse, tout en prévenant son fils qu’il eût à surveiller ses dépenses à cause de l’état de leur fortune, lui cachait la profondeur de leur ruine. Elle craignait de trop assombrir la gaieté de ses vingt-cinq ans. Cette fois, elle la lui avait dite, cette ruine, dans tout son détail, pour conclure en s’exaltant : « Jamais je ne consentirai au mariage d’un Maligny avec une petite traînée, et elle-même, si elle savait le chiffre de nos rentes, cette intrigante aurait tôt fait de rompre… » Intrigante ! Traînée !… La mère, abusée,