Page:Bourget - L’Écuyere, 1921.djvu/180

Cette page n’a pas encore été corrigée

ne s’était pas encore dissipée au moment où il déboucha du boulevard des Invalides dans la rue de Babylone, laquelle croise, comme on sait, la rue de Monsieur. Aucune des innombrables difficultés que comportaient ces fiançailles, si fantastiquement, si étourdiment improvisées, ne s’était même présentée, durant cet assez long trajet, à cet esprit, beaucoup plus réaliste d’habitude, sinon plus raisonnable. Le ravissement du premier aveu et du premier baiser se prolongeait en une de ces exaltations toutes voisines des extases de l’opium et du hachisch, comme on n’en éprouve qu’à vingt-cinq ans. La force du désir est telle à cet âge, dans certaines natures particulièrement entraînables, qu’elles en perdent la conscience des vérités les plus évidentes. Ce projet de mariage avec la fille du marchand de chevaux, le jeune homme ne pouvait pas le mettre à exécution sans l’avoir annoncé à sa mère, cette mère qu’il avait toujours tant chérie, en la faisant souffrir. Il avait dit, en parlant d’elle : « Ma mère ? Elle aimera qui m’aimera… » Il n’avait qu’à réfléchir une demi-seconde au caractère de Mme de Maligny, à ses principes et à ses préjugés, pour se rendre compte qu’elle n’accepterait jamais une pareille union. L’idée fixe de la douairière n’était-elle pas, depuis des années, le relèvement de « leur maison » ? Cette réflexion d’une demi-seconde, Jules ne l’avait eue, ni tandis qu’il causait avec la pauvre Hilda, ni pendant ce retour, tout entier employé à revoir, en imagination, les yeux bleus de la délicieuse enfant, rayonnants d’espoir ou fondus de tendresse, la ligne sinueuse de ses joues, la transparence fraîche de son teint, le frémissement de la bouche aimante, l’or de ses cheveux massés sous son chapeau rond, son buste si souple pris dans le corsage ajusté, ses pieds fins paradoxalement chaussés de leurs petites bottes, la gauche