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— « Vous avez l’air bouleversé, monsieur de Maligny. Vous étiez si gai, ce matin ! Qu’y a-t-il ? Que se passe-t-il ? »

— « Rien de nouveau, » répondit-il. « Il se passe ce qui s’est passé depuis que je vous connais, miss Hilda… Il y a que j’ai toujours envie de vous dire merci pour l’intimité que vous me permettez d’avoir avec vous et que j’ai toujours peur de vous offenser, comme il m’est arrivé une fois déjà… J’en ai été si chagrin ! Cela me rend un peu timide et gêné, par moments… Je suis dans un de ces moments, voilà tout. »

— « C’est à moi de vous remercier et de vous être reconnaissante, » dit miss Campbell. Le ton de Jules lui avait infligé, à elle aussi, un petit tremblement du cœur. Depuis cette scène à laquelle il venait de faire allusion, la scrupuleuse et romanesque Anglaise vivait dans l’appréhension de la minute où il lui faudrait entendre, derechef, prononcés par ce jeune homme qu’elle aimait tant, des mots trop tendres, et elle ne se permettrait pas, elle ne devrait pas se permettre de les écouter ! Un instinct l’avertissait que cette minute était venue, et elle essayait de conjurer ce danger en maintenant la causerie sur le ton de camaraderie enjouée qui leur était coutumier.

— « Mais oui, » insista-t-elle, « ce n’est pas si amusant, pour un Parisien à la mode, comme vous l’êtes, de tenir compagnie à une sauvage, si peu Parisienne… Et puis, » — et l’expression de ses yeux se fit doucement sévère, presque imploratrice, pour que Jules y vît une défense de retomber dans la faute déjà commise. Une défense ? Non. Une prière. — « ne m’avez-vous pas prouvé que vous teniez vraiment à cette intimité dont vous parlez, en tenant la parole que je vous avais demandée ? Sachez-le bien : si peu Parisienne que je sois, je connais assez les idées des gens