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les morts, arrivées coup sur coup, de ses deux aînés : un fils et une fille. Là, elle avait promené sa grossesse, quand, à trente-sept ans, elle s’était trouvée enceinte de Jules, — son dernier né, le fruit tardif d’un retour repentant du père au foyer, après la crise la plus cruelle de leur mariage. Ils avaient été tout près d’une séparation, qui eût sauvé la fortune de l’épouse exploitée et trahie. Elle ne pouvait pas regretter d’avoir pardonné. Autrement, elle n’eût pas eu cet enfant, son unique raison de vivre depuis lors. C’est dans ce jardin, encore, qu’elle l’avait vu, d’abord petit, puis grand et, puis tout a fait grand, jouer aux jeux de son âge, — en costume de deuil, hélas ! Le père était mort quand le fils avait six ans. Les troncs rugueux des deux acacias, qui formaient groupe au fond, avaient assisté aux leçons que Jules recevait de son abbé, en plein air, par les beaux jours d’été, puis à ses conversations moins édifiantes avec ses camarades, — toujours sous le regard ravi ou inquiet de la mère, assise à cette même porte-fenêtre, près des marches fendillées et verdissantes de ce même perron. La monotone existence de cette femme, si pure et si éprouvée, avait tenu dans ce cadre familial, sans autres joies que celles, trop rares, qui lui étaient venues de son Jules. Celui-ci — il convient de reconnaître en lui cette piété filiale — s’était toujours rendu compte de la place qu’il tenait dans cette âme mortifiée. Cela ne l’avait pas empêché de passer outre et d’aller à son plaisir, toujours avec un de ces remords sans repentir, dont il subit un nouvel et soudain accès en pensant à la solitude où son départ allait laisser cette mère incomparable. — « Et elle, » songeait-il donc en la contemplant, et, continuant son monologue : « Quel brave cœur aussi !… C’est incroyable ce que l’on rencontre encore de gens vieux jeu, au vingtième siècle… Hilda, ce