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de la pensée qui paralysent un Hamlet ou un Adolphe dans les infinis atermoiements des résolutions prises et reprises, des projets conçus et abandonnés, recommencés et délaissés de nouveau. L’instabilité mentale consiste essentiellement dans la substitution, si rapide qu’elle en est ahurissante, — c’est le seul mot, — d’une disposition donnée à une disposition totalement différente, souvent contraire, et cela sans conflit. Il semble qu’il y ait, dans ces caractères, moins une discontinuité qu’une pluralité. C’est comme un cinéma psychologique dont ces instables sont à la fois le théâtre ; l’acteur et l’opérateur. Ils portent en eux, si l’on peut dire, plusieurs types d’individus, qu’ils réalisent tour à tour, sans que la loi qui détermine l’ordre de succession soit très discernable. Au cours de cette aventure avec Hilda Campbell, qui ne datait guère que de dix semaines, Maligny avait été, et sans effort aucun, le galant homme qui, voyant une femme en danger, ne calcule rien et risque sa vie pour elle, tout simplement, — le libertin dépourvu de scrupules, pour qui rencontrer une jolie fille c’est lui faire une immédiate déclaration, — le dilettante sentimental qui se prête à la romanesque fantaisie d’amitié d’une enfant pure, afin de ménager les intimes délicatesses de sa sensibilité frémissante. Durant cette conversation avec Corbin, dix influences diverses : la présence de Jack et sa voix pressante, la révélation de l’infamie dont Hilda était la victime à cause de lui, l’appel fait à son honneur, la certitude aussi de la place qu’il occupait dans ce cœur virginal, — que sais-je ? — avaient soudain éveillé en lui un quatrième personnage. Un passionné désir l’avait saisi là, sur place, avec une force irrésistible : non seulement de ne pas être nuisible à la jeune fille, mais de lui être bienfaisant.

Par un phénomène de transfert moral qu’il avait