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quelle silhouette passait et repassait à travers les bleuâtres vapeurs du tabac, tandis qu’il tirait, de son papyros, de lentes bouffées en rêvant de Hilda. Le concierge, lui, ne partageait pas les illusions de la douairière. Il connaissait son jeune maître, d’abord, et puis, il avait eu la mission, plusieurs fois, de conduire Galopin rue de Pomereu. Là, il avait vu la jolie écuyère. C’en était assez pour qu’il crût devoir annoncer, avec ces précautions diplomatiques, la visite du soi-disant « milord ». Un détail le confirma dans ses méfiances. Il entendit le fils dire à sa mère :

— « Je reviens tout de suite, maman c’est un de mes amis qui me demande… » Et, à peine hors du salon : « Mais oui, attache le cheval dans l’écurie, et fais monter ce monsieur chez moi… »

— « Un de mes amis ? », grommelait le concierge en retournant exécuter cet ordre. « Si ce milord-là a l’air d’un ami, quelle figure ont donc les ennemis ?… Il arrivera quelque chose à notre monsieur Jules un de ces jours, à courir toujours… Beau garçon comme il est, il pourrait si bien se marier et nous amener ici une jolie petite comtesse, et riche, encore. On requinquerait l’hôtel, qui en a besoin, et ma loge, par la même occasion… Bon sang de bon sort ! Que cet Anglais a l’air méchant !… Pendant que les Iroquois y étaient à le scalper, — car c’est chez les Indiens que ça lui est arrivé, pour sûr, — ils auraient bien dû le finir… »

Tout en monologuant de la sorte, le fidèle serviteur avait traversé la cour. Il était de nouveau devant la porte à transmettre au visiteur la réponse attendue. Le sombre Corbin — si comiquement qualifié de « milord » — offrait, en effet, au regard de son interlocuteur, à cet instant, Une physionomie plus revêche encore, plus bougonne qu’à l’ordinaire. Il ne desserra pas la bouche pour un merci, Quand l’autre lui eut dit qu’il pouvait mettre son cheval à l’écurie, il