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tenait avec son fils, comme c’était leur habitude après le déjeuner, par les très beaux jours, dans un petit salon ovale, sur le derrière de l’hôtel. La porte-fenêtre de cette pièce ouvrait sur un jardin, une merveille autrefois, quand, au delà du mur du fond, d’autres jardins verdoyaient, et ainsi de suite, indéfiniment, jusqu’à la rue Vanneau, — alors rue de Mademoiselle, — et, plus loin, c’était l’immense parc de l’actuelle ambassade d’Autriche. Depuis quelques années, une haute cheminée et les hangars d’un grand entrepreneur de menuiserie coupaient cet horizon. Le soleil ne pénétrait plus dans ce jardin qu’à de certaines heures et lorsqu’il était très haut dans le ciel. Sa lumière, alors, touchait le gazon peu ratissé de la pelouse, les allées semées d’herbes sauvages, les arbres rarement taillés des massifs, d’une caresse qui transfigurait cette déchéance. Il pénétrait, ce chaud soleil, dans le petit salon et rajeunissait jusqu’à l’étoffe élimée des bergères, jusqu’aux moulures dévernies des boiseries, jusqu’au visage flétri de la douairière patiemment penchée sur son ouvrage. Justement, à la minute où le concierge était venu, parler tout bas à Jules, elle le regardait, ce fils aimé, par-dessus ses besicles, fumer paresseusement une cigarette, et, comme le vénérable Homère dit naïvement de ses héros, elle se réjouissait dans son cœur. Le séjour, à La Capite n’avait-il pas transformé le jeune homme ? jadis, à peine sorti de table, il disparaissait pour ne rentrer qu’à l’heure du dîner, — quand il dînait à la maison, — et repartir, sitôt, le dîner fini. À présent, il semblait que son plaisir fût de tenir compagnie à sa mère, indéfiniment. La bonne dame ne soupçonnait pas quel amour — plus dangereux encore pour l’avenir de son fils, d’après ses idées, que ses précédentes folies, — assagissait les après-midi et les soirées du jeune homme. Elle ignorait