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son naturel, préservé à travers tout. — Mais un Anglais, et un Anglais amoureux, ne connaît pas ces indulgences-là, lorsqu’il s’agit d’un rival, et qu’il peut satisfaire la plus passionnée jalousie sous forme de jugement moral. Ce devait être le cas du cousin de miss Campbell, en cela, très logique. Non moins logique était l’aimable nitcheviste en se sentant un peu gêné par cette haine, même dans son insouciance, lui qui ne savait pas se passer de sympathie. Les jours allaient et, avec l’intimité grandissante, cette gêne grandissait devant le reproche muet que dardaient les sévères prunelles de ce rude et rogue Corbin. Ce regard pénétrant allait, malgré le nitchevo et ses indifférences, troubler, chez le jeune homme, le coin profond d’honneur qu’il portait en lui, en dépit de lui-même. Un petit fait qui aurait dû le rassurer, semblait-il, augmentait encore ce malaise. Dans les tout premiers temps, il lui arrivait, au Bois, soit qu’il galopât seul à la rencontre de Hilda, soit que la jeune fille et lui trottassent ensemble, d’apercevoir soudain, surgissant au détour d’un sentier, l’écuyer et son falot profil à la Don Quichotte. Maintenant, ces rencontres ne se produisaient plus jamais. Corbin se cachait-il pour épier les deux jeunes gens ? Ou bien affectait-il, au contraire, de s’effacer, afin de laisser la place libre à un rival préféré ? À une question, jetée comme au hasard, sur cette absence, assez singulière, en effet, de la part de quelqu’un dont le métier consistait, comme celui de sa cousine, à monter au Bois, la jeune fille avait répondu :

— « Il préfère dresser les bêtes dans le manège. C’est son nouveau fad, à présent. Mon père et moi, nous croyons qu’il se trompe et que la promenade libre vaut mieux pour des chevaux dont la plupart doivent chasser. Mais, quand John a une idée, là, sous le front, on lui casserait le crâne avant de la lui ôter… »