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fille d’Albion, elle pensait et causait « faits ». Elle pavait aussi volontiers, pour parler comme lesdites gavrochines. — Cette pittoresque métaphore d’argot définit si justement ces entretiens où les phrases succèdent aux phrases, comme les coups de la demoiselle du paveur sur les cubes de pierre, enfonçant encore et encore la même idée dans le même coin, avec le même monotone effort. — Quand elle abordait un sujet, elle ne le quittait qu’après en avoir épuisé tout le détail. Rien de plus contraire au tour d’esprit d’un Parisien, et mâtiné de Polonais ! — Cela fait deux légèretés et deux frivolités l’une sur l’autre.

Mais, pour émettre ces discours, elle remuait deux lèvres rouges dont Jules sentait, rien qu’en les regardant, qu’elles avaient la fraîcheur et la saveur d’un fruit… Mais sa voix avait cet accent un peu enfantin, presque zézayant, propre à certaines femmes de son pays… Mais l’azur de ses yeux fixant sa pensée prenait des douceurs et des profondeurs de rêve… Mais les horizons du Bois, si clairement verts maintenant, s’harmonisaient si délicatement à la transparence de son teint… Mais de chacun de ses gestes émanait, pour celui qui l’écoutait se raconter ainsi, un ensorcellement, et puis l’antithèse était si complète entre les petites dames qu’il avait si volontiers fréquentées et cette primitive. Il ne doutait plus de son absolue sincérité, à présent. Au cours de ces promenades, les trois noms jetés, par la malveillance des Portille et des Longuillon, dans les profondeurs soupçonneuses de sa pensée, avaient été prononcés entre eux : l’un par suite du hasard d’une rencontre, les deux autres intentionnellement. De ces trois épreuves, Hilda était sortie si intacte, si évidemment elle avait été calomniée !… C’était un matin, et l’écuyère venait de faire exécuter à un pur sang, à peine débourré, une