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en appelait, chez ce précoce habitué des tripots nocturnes et des boudoirs galants, à cet atavisme d’existence libre et saine où l’émotion n’était pas entachée de vice, où l’homme et la femme, voisins de la nature, avaient un compagnonnage presque fraternel, dans une activité à demi guerrière qui les purifiait de toute souillure, presque de tout désir. Peut-être la récente hérédité des grands seigneurs de Lithuanie, ses ancêtres, disposait-elle Jules de Maligny, plus qu’un autre, à goûter la fraîcheur de cette églogue sportive — farouche et romantique fleur d’Irlande ou d’Ecosse, éclose fantastiquement à quelques pas de l’Arc de Triomphe, — une course de soixante-quinze centimes au taximètre des fiacres d’alors.

Qu’ils se fussent rencontrés dans la route aux « têtes de chats » ou sur la piste des obstacles, les deux jeunes gens, une fois échangé leur second « bonjour » du matin, partaient ensemble, au trot rassemblé de leurs bêtes. Sans s’être concertés, ils avaient choisi, pour ces innocentes, mais trop fréquentes chevauchées, le moment dont j’ai déjà parlé, où les habitués élégants du Bois n’y sont pas encore, où ceux que l’on peut appeler les habitués professionnels n’y sont plus. Ils rencontraient bien, de-ci de-là, quelque personne de leur connaissance. Plus d’un regard, curieux ou railleur, les suivait, de temps à autre, à un détour d’allée. Hilda était trop profondément Anglaise pour s’en inquiéter. Parmi les bons ou les mauvais côtés de cette race — « comme il vous plaira, » eût dit leur Shakespeare, — le plus marqué est ce mépris du qu’en-dira-t-on ? Et Jules se considérait comme dégagé de toute responsabilité vis-à-vis de son « amie » par l’exactitude avec laquelle il se conformait au programme, passablement humiliant pour son orgueil de séducteur, qu’elle lui avait