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du vet[1] venu pour ausculter un cheval qui toussait, l’entrée d’un acheteur dans la cour, un télégramme annonçant l’envoi d’un lot de poneys. Jules s’échappait, pour enfourcher Chemineau, à moins qu’il n’eût envoyé Galopin en avant, par son domestique. Il partait, d’une allure d’abord réglée. Il se modérait jusqu’au détour de la rue, par prudence et pour ne pas voir apparaître, dans les prunelles claires de Corbin, toujours aux aguets, un certain éclair d’ironie. Il se rattrapait dès la rue de Longchamp. Une fois dans le Bois, c’est en galopant à tombeau ouvert qu’il dévorait l’allée des Poteaux, puisqu’il s’engageait dans la route qui va vers la Cascade et dont les cavaliers prudents redoutent si fort certaines parties, hérissées de ces cailloux dangereux, surnommés, en argot hippique, des « têtes de chats ». Maligny était sûr de rencontrer, à un moment, sa mystérieuse petite amie, arrivant elle-même en sens inverse, au trot ralenti de sa bête et épiant son approche. Si elle ne se trouvait pas là, c’est qu’elle avait à dresser quelque cheval nouveau, et Jules poussait jusqu’à la piste qui longe le Tir aux Pigeons, où sont aménagés des haies, des barrières et de faux ruisseaux. Jamais la jeune fille ne lui plaisait davantage qu’alors, arrivant sur l’obstacle au petit galop d’un animal effaré, tout prêt à renâcler et à se dérober. Elle le maintenait droit et perçant de la cravache et de la jambe, et il sautait. L’ardeur de la lutte mettait du rose à ses joues minces, la joie du risque éclairait ses beaux yeux clairs, ses fines narines battaient, un sourire de fierté retroussait le coin de ses lèvres et montrait ses dents. Tout le joli paradoxe de leur roman était symbolisé dans le contraste entre le courage, la brutalité presque, de ce

  1. Vétérinaire.