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efforts d’analyses, à l’a b c du préjugé dans les choses de la tendresse. Il est convenu, par exemple, qu’entre deux cœurs, celui qui aime le plus est aussi celui qui se subordonne à l’autre, et il désire, en effet, se subordonner. En réalité, c’est lui qui impose à l’autre ses façons de sentir, lui qui modèle cet autre d’après ses émotions. Toujours, ou plutôt, — car il convient de ne jamais trop généraliser des lois qui comportent tant d’exceptions individuelles, — presque toujours, dans une passion partagée, le rôle directeur appartient au plus épris. C’est lui qui impose ses goûts, ses idées, ses façons de vivre. Entre un beau jeune homme, déniaisé jusqu’à en être déluré, comme un Jules de Maligny, et une jeune fille toute primitive comme une Hilda Campbell, la lutte paraissait très inégale. Il semblait bien, n’est-il pas vrai ? que leurs relations dussent être conduites à son gré, à lui, et que la jeune fille dût simplement suivre le chemin où le jeune homme saurait l’engager. Mais Jules n’avait pour Hilda qu’un goût très vif, qu’un caprice très amusé, au lieu que la pauvre Anglaise était la proie d’un sentiment très sérieux. Dès le premier jour, elle avait été saisie par cet amour unique, total, absolu, dont les anciens avaient symbolisé la fatalité dans le mythe d’une Aphrodite impitoyable et invincible (amilictos et anikétos). C’était elle, la faible, la naïve enfant, qui allait avoir raison du jeune viveur, roué déjà, et le manœuvrer au gré de sa romanesque et pure sensibilité, — pour un temps. En effet, si le sentiment vrai a ce pouvoir d’incliner une volonté, il n’a pas celui de changer un caractère, et toutes les aventures de cœur finissent par se résoudre, à une certaine minute, dans des conflits de caractères. Qui creuserait cette formule y rencontrerait l’explication de bien des tragédies sentimentales, mises, par leurs victimes, sur le compte