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l’acceptation des formes à la mode, même des préjugés reçus, sont aussi nécessaires. Cet écrivain-là comprend et pratique avec naïveté la formule ironique du moraliste : « C’est une grande folie que d’être sage tout seul. » On peut, quoi qu’il en semble aux apôtres de l’art dédaigneux, penser ainsi et composer des chefs-d’œuvre. La preuve en est dans Molière et dans George Sand elle-même. Il est une autre race d’hommes de lettres, dont Flaubert fut, de nos jours, le type achevé, qui reporte sur les initiés seuls le culte pieux que les premiers accordent à la foule. Ceux-ci sont des hommes d’étude et de raffinement. Ils s’emprisonnent dans l’ombre d’une école. Ils évitent la brutale lumière, ils ne travaillent qu’avec la sensation des yeux aigus des juges fixés sur eux. Quels juges ? Leurs confrères vraiment avertis des plus délicats secrets de la composition, les connaisseurs scrupuleux qui sont capables d’apprécier la valeur d’une syllabe mise à sa place et les insuffisances d’une métaphore manquée. Cette préoccupation, qualifiée de byzantine par les malveillants, aboutit volontiers à une littérature hiératique et sibylline, dans laquelle la science accomplie des procédés techniques s’accompagne d’un mépris transcendantal pour la simple émotion et l’éloquence spontanée du cœur. Les innombrables épigrammes dirigées contre ce byzantinisme n’empêcheront pas la Tentation de saint Antoine d’être un livre supérieur. — Il est enfin un troisième groupe d’artistes pour lesquels écrire est une façon de