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le mystérieux monsieur de l’aigle

— Eusèbe est allé au bureau de poste, ma chérie, répondit Claude en souriant. Le temps était beau lorsqu’il est parti, Magdalena… Piétro, ajouta-t-il, en s’adressant à l’homme d’écurie, dites à Eusèbe d’apporter ici le courrier.

— Notre égoïsme est impardonnable, Madame ! dit Rosine, au moment de quitter la bibliothèque et parlant au nom de tous. Mais…

— Non, mes amis, non ! répondit Magdalena en souriant. Il n’y a rien d’impardonnable, ni de répréhensible dans ce que vous avez fait. On ne contrôle pas la peur, je sais… D’ailleurs, reprit-elle, avec cette amabilité et cette douceur qui la rendaient si chère à tous ceux avec qui elle devenait en contact, s’il était arrivé quelque catastrophe, tout à l’heure, il valait mieux que nous fussions ensemble, afin de pouvoir nous secourir les uns les autres.

— Merci, Madame ! Et que Dieu vous bénisse pour votre bonté ! s’écria Candide. Puis tous quittèrent définitivement la bibliothèque.

— C’est un ange que Madame ! dit la cuisinière, lorsqu’ils furent tous rendus dans le corridor.

— Un ange de douceur et de bonté ! supplémenta Rosine.

Euphémie Cotonnier eut un sourire méprisant.

— N’empêche que M. de l’Aigle ne nous a pas ménagés ! dit-elle à sa tante. Si ses yeux eussent été des pistolets, je crois bien que nous serions morts maintenant. Il avait l’air tellement en colère, lorsque nous avons envahi la bibliothèque !

— Aussi, nous avons manqué de réflexion et de délicatesse, répondit Candide. Nous aurions dû songer à Madame, dont la santé requiert tant de ménagement. Pauvre petite dame ! Que les anges la protègent !

— Ah ! Bah ! fit Euphémie, en haussant les épaules.

— Perds-tu la tête, Euphémie ! cria presque Candide.

— Ça m’ennuie, à la fin, tout ce train-train à propos de Mme de L’Aigle !

— Dans tous les cas, M. de L’Aigle avait raison d’être en colère contre nous tout à l’heure, fit Candide. Nous aurions pu faire un tort irréparable à Madame… Mais !… Elle aurait pu en mourir !

— Quelle tragédie ! s’écria Euphémie, en éclatant de rire, au grand scandale de sa tante.

Mais, revenons à la bibliothèque, où Eusèbe venait d’apporter le courrier.

— Une lettre pour toi, ma toute chérie, dit Claude en s’approchant de Magdalena. Je crois reconnaître l’écriture, ajouta-t-il en souriant.

— C’est Thaïs qui m’écrit, répondit Magdalena. Chère Thaïs !

— Voici aussi une revue, continua Claude, ainsi qu’un journal.

— Merci, mon Claude ! répondit la jeune femme, en décachetant sa lettre.

— Aimeriez-vous jeter les yeux sur ce journal, Mme d’Artois ?

— Non, merci, M. de L’Aigle, répondit la dame de compagnie. Je n’aime pas à laisser mon tricot, car je tiens à terminer ce petit gilet ce soir, si possible.

— Ah ! Je comprends ! fit Claude en souriant, puis il retourna prendre place près de sa table à écrire et il se mit à dépouiller son courrier.

Tout en tricotant, Mme d’Artois observait Magdalena ; elle la vit sourire en lisant la lettre de Thaïs.

— Cette bonne Thaïs m’annonce qu’elle m’envoie un colis par le prochain courrier, dit Magdalena soudain ; elle ajoute que je devrais recevoir son envoi d’un jour à l’autre. Chère Thaïs !

— Bien sûr répondit Claude, souriant, à son tour.

— Et moi aussi je m’en doute, dit la jeune femme, avec quelque chose d’infiniment tendre dans le regard. Cette bonne Thaïs !

Elle ouvrit ensuite la revue et la parcourut des yeux, s’arrêtant à quelques articles qui l’intéressaient et en faisant lecture à haute voix. Puis elle déplia le journal ; du fauteuil où elle était assise, Mme d’Artois pouvait voir l’entête de la première page ; un entête en lettres noires et grasses. Elle ne distinguait pas de quoi il s’agissait, car elle était légèrement myope, mais elle savait bien qu’il devait être question de quelqu’évènement à sensation.

Mme d’Artois venait d’abaisser les yeux sur son tricot, lorsqu’un cri retentit ; ce cri, c’était Magdalena qui l’avait jeté :

— Claude !

En un clin d’œil, Claude de L’Aigle et Mme d’Artois furent debout et en quelques enjambées, auprès de Magdalena. Ils virent la jeune femme les joues blanches comme de la cire, les lèvres aussi blanches que le reste de son visage ; elle tendait vers son mari ses deux bras en un geste qui semblait implorer son secours, ou sa protection. Soudain, ils la virent retomber sur ses coussins, les yeux clos, la bouche entrouverte ; ils la crurent morte.

— Magdalena ! cria Claude. Magdalena ! Ô ma chérie ! Ma bien-aimée ! Qu’y a-t-il, mon Dieu ? Qu’y a-t-il ?

— Elle s’est évanouie ! annonça Mme d’Artois. Vite, M. de L’Aigle ! De l’eau ! Du cognac !

Tout en frictionnant les tempes et les mains de la jeune femme, Mme d’Artois ne put s’empêcher de remarquer une chose : c’était que le journal, dont l’entête était, probablement, responsable de l’évanouissement de Magdalena, le journal, dis-je, avait glissé entre la chaise-longue et le mur.

Mais Claude revenait avec l’eau et le cognac. Mme d’Artois humecta les lèvres de Magdalena avec de la boisson ; elle eut voulu lui en faire avaler au moins une gorgée, mais la jeune femme avait les dents tellement serrées, qu’on n’eut pu en faire passer même une goutte. On dut se contenter de lui faire respirer le cognac, et lui en frictionner le visage et les paumes des mains… Ce fut inutile ; Magdalena ne revenait pas de son évanouissement ; seulement, des plaintes inarticulées s’échappaient, par moments, de sa bouche.

Soudain, on eut pu voir pâlir Mme d’Artois et la voir frissonner, tandis qu’une sueur froide inondait son front : elle venait de constater