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le mystérieux monsieur de l’aigle

souvent, sa jeune femme pâlir, au bruit du vent ; parfois aussi, elle faisait le geste un peu enfantin de poser ses mains sur ses oreilles, afin de ne pas entendre.

— Pourquoi as-tu tant peur du vent, ma pauvre chérie ? lui demanda Claude un jour. Tu le sais bien pourtant, notre maison est bâtie à même le roc, pour ainsi dire ; il n’y a, conséquemment, aucun danger.

— Je sais, Claude, répondit-elle. Mais c’est incontrôlable, vois-tu ! J’ai peur… et on ne raisonne pas avec la peur.

On était au 20 octobre. La journée avait été belle. Le vent s’était tu, au grand soulagement de Magdalena et de tous ceux qui s’intéressaient à la jeune femme. Vers le soir cependant, il s’éleva une assez forte brise, et bientôt, ce fut « le grand concert des éléments » pour parler comme Claude de L’Aigle. Le vent faisait certainement des siennes, ce soir-là ; on l’entendait gémir plaintivement, ou bien hurler avec rage ; on eut dit les lamentations d’une âme tourmentée ou perdue.

Magdalena, Claude et Mme d’Artois s’étaient réunis dans la bibliothèque, après le dîner. La jeune femme installée sur une chaise-longue, feuilletait distraitement un catalogue de fleurs. Claude écrivait ; Mme d’Artois tricotait de la laine blanche, confectionnant quelque petit vêtement délicat.

Mme d’Artois, dit tout à coup Magdalena, n’est-ce pas étrange que chaque saison ait ses inconvénients, ses ennuis, etc. ? Voyez donc : l’hiver, c’est le froid ; l’été, c’est le tonnerre ; le printemps, c’est la pluie, et l’automne, c’est le vent. Oh ! s’écria-t-elle. Entendez-vous ces horribles sifflements ?

— Pourtant, Magdalena, répondit Mme d’Artois, n’y a-t-il pas quelque chose de grandiose dans ce branle-bas ?… Ces sifflements… ne dirait-on pas une mélodie que jouerait une clarinette ? … Et ces sourds grondements…

— Ah ! Combien je vous envie de pouvoir poétiser la tempête ainsi ! Moi, je ne le puis pas… J’ai trop peur. Ô ciel ! Quelle lamentations !… Écoutez ! Écoutez ! N’est-ce pas épouvantable !

— Ma pauvre enfant… commença Claude.

— Claude, fit la jeune femme, pense-tu qu’il peut y avoir des navigateurs en danger, ce soir ?… Songes-y… Quelqu’un qui serait sur le fleuve, au milieu de cette tempête !

— Impossible, Magdalena ! Personne n’oserait se risquer, loin du rivage, à cette saison, sois-en assurée. Ainsi…

Soudain, le vent se tut ; il se tut complètement. Le silence se fit, un silence sinistre ; un silence qu’on eut dit rempli de menaces, et qui sembla effrayer Magdalena encore plus que le branle-bas de tout à l’heure. Instinctivement, Claude et Mme d’Artois avaient jeté les yeux sur la jeune femme. Ils la virent très-pâle ; ils virent aussi de larges cercles noirs sous ses yeux terriblement effrayés.

Aussi naturellement qu’il le put, Claude quitta sa table à écrire ; il s’approcha de sa femme et l’entoura de ses bras, puis il se mit à lui parler de choses et autres. Mme d’Artois laissa tomber son tricot sur ses genoux et ses yeux se fixèrent sur Magdalena, car, elle aussi, était très-inquiète au sujet de la jeune femme.

Le silence dont nous venons de parler, ne dura que quelques secondes. Le vent, qui semblait avoir réuni toutes ses forces durant cette brève accalmie, se mit à gronder sourdement, mais au loin. Tout à coup, il se produisit des sifflements, des gémissements, des hurlements lamentables, qui paraissaient s’approcher toujours davantage. Ce fut un terrible fracas. Les châssis et les portes de L’Aire furent secoués comme sous la poussée de puissantes mains ; les planchers craquèrent, au point qu’on eut pu croire qu’ils allaient s’entr’ouvrir et que tous allaient être précipités dans le vide. Joignez à cela des cris et des piétinements ; car le personnel de la maison, pris de panique, accourait vers la bibliothèque, dont les portes, ouvertes brusquement, livrèrent bientôt passage à Euphémie Cotonnier et aux domestiques affolés de peur.

— Que Dieu ait pitié de nous ! cria Candide. C’est un tremblement de terre, un tremblement de terre !

— C’est la fin du monde ! fit Rosine, en se signant.

— Ô mon Dieu ! s’exclama Euphémie.

— Silence ! ordonna Claude.

— C’est terrible, terrible ! fit Euphémie.

— Encore une fois, je vous l’ordonne, silence ! s’exclama Claude. Ce n’est qu’une sorte de cyclone que nous venons d’avoir, ne le comprenez-vous pas ? C’est déjà passé. Ayez plus d’égard envers votre maîtresse, ajouta-t-il, en désignant Magdalena ; ne voyez-vous pas comme Mme de L’Aigle est effrayée ?

— Ô Madame, Madame ! pleura Rosine, en s’approchant de Magdalena et s’agenouillant près de sa chaise-longue. Vous n’avez plus peur, n’est-ce pas, Magdalena ?… M. de L’Aigle vient de le dire, le danger, s’il y en a eu, est déjà passé.

— Pardonnez-nous, Madame ! fit Candide, s’approchant, à son tour, de Magdalena. Nous sommes des égoïstes vraiment ! ajouta-t-elle, tandis que des larmes coulaient sur ses joues. Nous aurions dû songer à vous, tout d’abord. Votre frayeur est passée maintenant, n’est-ce pas, Madame ?

— Je n’ai plus peur du tout, Candide, répondit la jeune femme, avec un pâle sourire. Ne vous désolez pas ainsi, Rosine, reprit-elle, voyant la fille de chambre pleurer. Ce n’était qu’un coup de vent ; tous, nous nous sommes effrayés à tort, évidemment.

— Pardonnez notre manque de tact, fit Xavier, en s’adressant à Claude et à Magdalena. Combien nous regrettons…

— C’est bien, mes amis, n’en parlons plus, dit Claude, et puisque Mme de L’Aigle est revenue de sa frayeur, tout est bien qui finit bien, ajouta-t-il en souriant.

— Merci, Monsieur, répondit Xavier en se dirigeant vers la porte, suivi d’Euphémie Cotonnier et des domestiques.

— Monsieur, fit Piétro, au moment de franchir le seuil de la bibliothèque, Eusèbe est de retour du village.

— Comment ! s’écria Magdalena. Eusèbe est allé au village ! Par ce temps !