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le mystérieux monsieur de l’aigle

prie, oncle Zenon, fit Magdalena. Cette marche me fera beaucoup plus de bien que de mal, j’en suis convaincue.

— Je l’espère ! murmura Zenon.

La jeune femme consentit cependant à se retirer dans sa chambre et de se coucher, jusqu’à l’heure du diner et tandis que Mme d’Artois, aidée de Rosine préparaient le repas. Lorsqu’elle prit place à table, un peu plus tard, Magdalena se déclara parfaitement remise de ses fatigues.

— Sais-tu, Magdalena, lui annonça Zenon, je vais construire une cabane à mi-chemin, entre L’Aire et La Hutte, dès le mois de mai ; ça sera un lieu de repos, qui pourra se chauffer facilement, à l’aide d’un poêle à l’huile. Hein ? Qu’en penses-tu ?.

— Je pense… J’ai toujours pensé, mon oncle, que vous finiriez par construire tout un village sur la Pointe Saint-André, répondit, en riant, la jeune femme. Mais votre idée est excellente et je l’approuve fort.

Depuis qu’on était à La Hutte et tandis que Zenon Lassève et Magdalena causaient ensemble, Mme d’Artois paraissait mal à l’aise. Il avait été convenu qu’en la présence d’étrangers, Zenon appelerait Magdalena « Mme de L’Aigle» et que celle-ci appellerait Zenon « M. Lassève ». En agissant ainsi, on éviterait bien des commentaires. Or, ne voilà-t-il pas qu’ils avaient oublié, tous deux, la présence de la fille de chambre de L’Aire

Après le diner, alors que Magdalena, accompagnée de Zenon et de Séverin, était allée rendre visite à Rex, Rosine dit à Mme d’Artois :

Mme d’Artois, j’ai vu que vous paraissiez mal à l’aise, tout à l’heure ; de fait, depuis notre arrivée à La Hutte… Mais, ne craignez rien, chère Madame, je continuerai à être discrète.

— Vous… continuerez… à être discrète, Rosine ?… Que voulez-vous dire ?

— J’ai deviné tout de suite… ou plutôt, j’ai reconnu immédiatement Mme de L’Aigle, à son retour de voyage de noces… Théo, le petit pêcheur et batelier… Oui, je l’ai reconnue…

— Ô ciel ! s’écria Mme d’Artois.

— Ne craignez rien, Madame, reprit Rosine, car je suis seule, à L’Aire qui ait reconnu Mme de L’Aigle. Je me suis tue, vous le pensez bien, et je continuerai à me taire. Que Mme de L’Aigle ait jugé à propos de se déguiser en garçonnet, lorsqu’elle était jeune fille alors qu’elle était obligée de mener une vie tout à fait sauvage, sur cette pointe, cela n’a pas de quoi étonner, et, chose certaine, ce ne sont pas les affaires de qui que ce soit. Ainsi, Mme d’Artois, ne soyez plus mal à l’aise, ni inquiète, lorsque Mme de L’Aigle donnera à M. Lassève le titre d’oncle, en ma présence, ou que M. Lassève tutoiera Mme de L’Aigle… je suis, vous le savez, toute dévouée à Madame ; j’aimerais mieux mourir que de la trahir !

— Cela, je le crois sans peine, Rosine !

— Vous m’excusez bien d’avoir abordé ce sujet, n’est-ce pas, Mme d’Artois ?… C’est parce que…

— Je comprends parfaitement, Rosine et je vous remercie de m’avoir rassurée. Et puis, je tiens à ajouter que, si quelqu’un, à L’Aire, devait reconnaître Mme de L’Aigle, je préfère que ce soit vous, plutôt qu’un ou une autre, dit Mme d’Artois en souriant. Je ne crois pas que personne autre que vous ne soupçonne…

— Non, personne. Je m’en suis assurée, adroitement, Mme d’Artois.

Zenon accompagna les trois femmes, lorsqu’elles retournèrent à L’Aire le lendemain après-midi, ne revenant lui-même à La Hutte que le surlendemain.

— Tout cela créait des distractions. Le reste du temps, jusqu’au retour de Claude, Magdalena l’employa à lire, à broder, à pratiquer la harpe, ou bien elle errait dans les serres, à la grande joie de Xavier. Celui-ci n’avait pas manqué de parler, plus d’une fois, à Mme de L’Aigle, du jeune garçonnet, M. Théo, le neveu de M. Lassève de La Hutte ; combien cet enfant avait admiré les serres de L’Aire, surtout celle des roses !

— Tout comme vous, Madame, cet enfant adorait les roses, avait dit Xavier à la jeune femme. Cher petit ! avait-il ajouté. Je pense à lui souvent !

— Où est-il maintenant ce garçonnet, Xavier ? avait demandé Magdalena, afin de s’assurer que le jardinier n’avait aucun soupçon.

— Ah ! Il est allé retrouver sa mère, loin, bien loin… dans la province d’Ontario, ce cher petit.

Claude revint de son voyage enfin, et la joie régna de nouveau en maître à L’Aire, mais surtout dans le cœur de Magdalena, qui aimait tant son mari.

Le printemps commença de bonne heure, cette année-là et ce fut une saison exceptionnellement belle.

Dès les derniers jours de mai, on commença à faire de grands préparatifs, en vue de célébrer l’anniversaire du mariage de Claude et de Magdalena, et le 2 juin, L’Aire était en fête. Nos amis de La Hutte étaient présents, inutile de le dire.

Or, au moment où l’on se mettait à table pour le grand dîner d’anniversaire, on entendit sonner à la porte d’entrée. Claude et Magdalena, Mme d’Artois et les invités se regardèrent étonnés : il était rare, on le pense bien, qu’on eut des visiteurs, à L’Aire.

Soudain, des pas pressés s’approchèrent de la salle à manger, puis la porte ayant été ouverte par Eusèbe, celui-ci annonça :

— Madame de St-Georges !

— Thaïs ! s’écria Magdalena, accourant au-devant de leur visiteuse.

— Pensiez-vous vraiment, braves gens, dit Thaïs en riant, que vous alliez célébrer l’anniversaire de votre mariage, sans moi ?

— Vous êtes la bienvenue mille et mille fois, Thaïs, vous n’en doutez pas ! répondit Claude.

— Oh ! Magdalena m’a invitée, par lettre, vous savez, Claude, et je suis venue. Me voilà ! Et même, je vous en avertis, je me propose d’être toute une semaine ici.

Aussitôt que vint l’obscurité, ce soir-là, L’Aiglon, tout pavoisé, se détacha du rivage et alla se poster à un mille au large. Le yacht contenait tous nos amis. Alors, des feux d’ar-